PORTRAIT MILES GREENBERG - REIFFERS ART CENTER

Miles Greenberg, jeune talent du programme de mentorat 2025

Pour l’édition 2025, Miles Greenberg intègre en tant que Jeune Talent le programme de mentorat Reiffers Art Initiatives. Aux côtés de son Mentor Daniel Buren, figure emblématique de l’art contemporain célébrée à travers le monde, ils ont préparé ensemble une exposition qui a lieu au Reiffers Art Center, du 24 octobre au 13 décembre. 

Miles Greenberg, aujourd’hui installé entre Paris et New York, s’est rapidement imposé comme l’un des performeurs les plus fascinants de sa génération. Au sein d’happenings et de scénographies étourdissantes, Miles Greenberg repousse les limites du corps, marchant par exemple 24h à l’occasion de la performance OYSTERKNIFE en 2020 ou transperçant son corps de flèches tel un Saint-Sébastien au Louvre en 2023 et à la Biennale de Venise en 2024. Plus récemment, Miles Greenberg a par ailleurs développé sa pratique de la sculpture en scannant en 3 dimensions son propre corps pour réaliser d’impressionnantes pièces qui dialoguent là-encore avec les espaces qu’elles habitent et que l’artiste n’hésite pas à scénographier.

Biographie

Miles Greenberg est né en 1997 à Montréal, Canada, il est artiste performeur et sculpteur. Son œuvre se compose d'environnements à grande échelle, sensoriellement immersifs et in situ, centrés sur le corps physique dans l'espace.
Ces installations sont activées par des performances souvent d'une durée extrême qui invoquent le corps comme matériau sculptural, dans le but de rendre visible la poétique de la forme humaine, notamment à travers le prisme de la diaspora africaine. Ses performances sont captées en temps réel devant le public pour donner naissance à des œuvres vidéo et des sculptures ultérieures.
Rigoureux et ritualiste dans sa méthodologie, l'univers de Greenberg s'appuie sur la lenteur et la décomposition de la forme pour éveiller la sensibilité du public. Le résultat s'apparente à un espace rituel qui invite l'interprète et le public à explorer, déchiffrer et honorer les émotions, souvent au-delà du langage, qui résident et résonnent dans le corps.

Textes

MILES GREENBERG : MYTHES, ANCÊTRES ET CYBORGS

Miles Greenberg a eu une enfance atypique. Élevé par une mère artiste, passionnée de théâtre expérimental et de l’art contemporain le plus avant-gardiste de son temps, il grandit entouré d’adultes et n’entre qu’à regret à l’école obligatoire [à partir de 6 ans au Canada]. C’est donc tout naturellement que, dès l’adolescence, il décide de se former tout seul auprès de maîtres, comme cela se faisait au Moyen Âge ou à la Renaissance, s’envolant pour Paris pour étudier le mouvement à la légendaire école de théâtre Jacques Lecoq, et auprès du chorégraphe canadien Édouard Lock. Son éducation se parachève auprès du metteur en scène américain Robert Wilson et de la très exigeante performeuse serbe Marina Abramovic, dont il partage la rigueur et la capacité d’endurance, l’intérêt pour la spiritualité et une certaine discipline intérieure, quasi militaire. Il pourrait donc être surprenant que, pour décrire son travail, Miles Greenberg ne fasse pas réfé- rence à de prestigieux écrits de philosophes, de penseurs contemporains ou même d’historiens de l’art. Il convoque plutôt des sensations, des souvenirs d’enfance, des émotions, des rêves. Ré- cemment, c’est une scène tirée du livre Solaris de l’auteur polonais Stanislaw Lem qui le fascine tout particulièrement. Dans ce livre de sciencefiction de 1961, rendu célèbre par l’adaptation qu’en fit Andreï Tarkovski en 1972, l’auteur raconte l’histoire de scientifiques confrontés à une forme d’intelligence extraterrestre qui, malgré leurs efforts de contact, ne leur renvoie, comme un miroir monstrueux, que des manifestations anthropomorphes tirées de leur propre esprit. Dans le livre, le premier de ces “visiteurs” est une femme. Une femme noire plus précisément. La description qu’en fait l’auteur rappelle la triste histoire de la “Vénus Hottentote”, Sarah Baart- man, et laisse le lecteur perplexe devant la débauche de détails utilisés pour retranscrire la terreur qu’inspire cette vision “répulsive” (je cite), difforme, gênante, sans qu’il ne soit dit réellement pour- quoi. Sa monstruosité et son altérité “contre nature” sont un fait accompli. Le personnage féminin, désigné exclusivement à la troisième personne, est aussi passif qu’un sujet anthropologique et n’est point doté de parole. Elle apparaît comme un spectre, au détour d’un couloir, derrière un meuble, puis disparaît de l’histoire comme elle y était entrée, sans un bruit. Du spectre, elle n’aura pas le privilège de la transparence ni celui de l’immatérialité, puisque son corps physique est, après tout, à la fois sa première qualité et son pire défaut. Rappelons-nous que nous sommes en 1961, un an après qu’une vague d’indépendances en Afrique a donné à voir au monde l’image d’un continent réputé libéré du joug colonial, moderne et se sai- sissant avec force d’un futur – alors – plein de promesses. Et pourtant, ce que semble nous dire Lem, c’est que les spectres de notre histoire commune, même forcés au silence, comptent bien nous suivre pour longtemps encore dans les sphères de l’intime et du public, sur cette terre et jusque dans nos fuites en avant vers d’autres planètes. La “Vénus” de Gods of Solaris semble nous dire que le progrès scientifique n’a jamais été neutre et qu’il n’est qu’un mirage, s’il ne s’accompagne pas d’un progrès moral et spirituel. Ce sont ces suites de notions contradictoires : le matériel et l’im- matériel, le tangible et l’intangible, le yin et le yang, le corps et l’esprit, l’usure et la transcendance, le temps court d’un souffle humain et le temps long des étoiles, l’organique et la technologie, le spirituel et la data, le passé et le futur, que tentent de réconcilier Miles Greenberg dans son travail, comme un bouquet impossible digne des natures mortes flamandes. Ses performances se lisent comme un conte d’initiation, à l’image du Kaïdara de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ : il faut y revenir encore et encore pour saisir les leçons que l’ignorance nous avait précédemment dissimulées. On pourrait ici évoquer le parcours initiatique du personnage de Kusanagi dans Ghost in the Shell , du mangaka japonais Masamune Shirow, ou la figure iconique du cyborg de la philosophe américaine Donna Haraway, si ce dernier concept n’avait pas tant été re- mis en question pour sa prise en compte insuffisante du poids de la question coloniale sur l’histoire du monde, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Y compris lorsqu’on parle du sujet brûlant de la technologie et des biais d’apprentissage de l’intelligence artificielle, ce que l’autrice américaine Ruha Benjamin a savamment nommé le “New Jim Code”, en référence aux lois ségrégationnistes dites “Jim Crow” aux États-Unis. Si les fantômes du passé nous suivent, certains personnages, objets, sensations, senteurs, réappa- raissent chez Greenberg au fil des performances, comme pour nous rappeler que tout est lié. Dès son premier Chandelier (2015) il y a déjà une dizaine d’années, Greenberg fait écho aux blackamoors vénitiens qui, silencieux, servent à porter candélabres, tables, colonnes. Suspendu au plafond par des chaînes et des lanières de cuir, l’artiste, les yeux bandés, invitait les visiteurs à festoyer sous son corps, à la lueur de trois bougies tenues à bout de bras et d’orteils jusqu’à l’ouverture de la dernière bouteille. Cette œuvre, en écho au travail du maître chinois de la performance Zhang Huan, durait déjà plus de deux heures et demie. La figure du blackamoor – ou du Maure – de bronze, de marbre ou d’ébène se retrouve, neuf ans plus tard, en témoin silencieux de la performance très remarquée de l’artiste en marge de la 60e Biennale de Venise, sous le commissariat du Germano-Américain Klaus Biesen- bach. Transpercé de flèches réelles et sous le regard de caméras, dont on ne sait si elles sont accu- satrices ou compatissantes, le Saint-Sébastien de Venise est, lui-même, le second acte d’un pre- mier, performé par l’artiste à huis clos dans la cour Marly, au Louvre, un an plus tôt. L’Étude pour Sébastien (2023) suit l’impressionnante résidence de performance de quatre semaines au Palais de Tokyo, sous le commissariat de l’Italienne Vittoria Matarrese, dans laquelle l’artiste fait intervenir plus d’une dizaine de performeurs dans un ensemble de tableaux qui porte le nom d’Alphaville Noir (2019). Le tapis de course, utilisé dans la performance de vingt-quatre heures que réalise l’artiste en pleine pandémie (Oysterknife, 2020), est déjà prêt à refaire surface, démultiplié, dans une œuvre à venir. Dans Hæmotherapy I (2019) et Pneumotherapy II (2020), toutes deux performées à New York, le sens de l’odorat se distingue comme un élément essentiel de l’expérience du visiteur. L’élé- ment liquide et ses couleurs : le rouge, le vert turquoise accompagnent sculptures et performances. Le socle, comme outil servant à l’élévation, physique et idéologique, des figures symboliques convo- quées par l’artiste. Autre élément récurrent, le blanc (et le noir, qui recouvre systématiquement son corps) fait aussi bien référence au butô japonais qu’aux traditions d’initiation ouest-africaines, au cours de laquelle le corps est recouvert de kaolin comme acte de purification. Pour son exposition dans le cadre du mentorat Reiffers Initiatives, Miles Greenberg se saisit des recherches menées sur la lumière par son mentor Daniel Buren pour réfléchir à la tension entre vi- sible et invisible. Quelles chimères convoquons-nous dans le secret de nos batailles collectives et intérieures, qu’elles soient spirituelles, symboliques ou idéologiques ? Et que signifie de mettre en lumière ce qui était auparavant réservé au domaine de l’ombre, comme l’évoque l’écrivain japonais Jun’ichiro Tanizaki ? On est tenté de se demander, si l’océan de Gods of Solaris pouvait aujourd’hui sonder nos pensées, quelle forme prendraient les monstres qui en seraient issus. Olivia Anani Commissaire de Gods of Solaris de Miles Greenberg